Alors que Pirates des Caraïbes : la vengeance de Salazar, cinquième volet des aventures du célèbre Jack Sparrow – pardon! le Capitaine Jack Sparrow -, vient tout juste de sortir au cinéma, tel Stéphane Bern, nous avons pousser les portes de l’histoire de la piraterie. Épris de liberté, aventurier des mers, forban sans âme et sans coeur… Démêlons un peu tout ça.
Quand se situe l’action de pirates des Caraïbes ?
Les films prennent place sous le règne de Georges II d’Angleterre (1727-1760). On voit d’ailleurs ce souverain dans la Fontaine de Jouvence. On peut supposer que l’action se déroule dans les années 1740-1750 donc bien après l’âge d’or de la piraterie dans les Caraïbes que l’on situe dans le premier tiers du XVIIIe siècle. Cet âge d’or s’achève avec la mort des plus grands pirates de ce temps : Edward Teach dit Barbe Noire qui est décapité en 1718, Jack Rackam qui est pendu en 1720 et La Buse qui est exécuté en 1730.
La saga mélange ainsi allègrement des éléments empruntés à l’âge d’or de la piraterie, à celui de la flibuste et des mythes qui se sont lentement construits depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours.
Quelle est la différence entre la course et la piraterie ?
C’est le moment de faire une petite pause vocabulaire. Le pirate est un hors-la-loi qui mène une action illégale en mer contre les biens d’autrui. La piraterie est un phénomène universel que l’on trouve sur toutes les mers du globe de l’Antiquité à nos jours. C’est à ce groupe qu’appartient notre ami Jack.
La course est, quant à elle, une forme de guerre maritime conduit par des entrepreneurs privés, supplétifs autorisés d’une autorité étatique qui accorde des lettres de course et partage les bénéfices de l’action. Le corsaire peut terminer sa « course » branché en haut d’un mât ou lieutenant général des armées navales du Roi, en fonction de la réussite de son travail. Le seul exemple dans la saga est l’éphémère carrière de Barbossa comme corsaire du roi d’Angleterre.
Et la flibuste dans tout ça?
Les flibustiers ou « frères de la côtes » sont une spécificité des Caraïbes et une conséquence du traité de Tordesillas (1494) qui « partageait » le monde entre Espagnols et Portugais. Ces deux nations avaient le monopole de la navigation, de la colonisation et du commerce dans leur zone respective (à l’ouest de la ligne violette pour les Espagnols ; à l’est pour les Portugais).
Attirés par les richesses du Nouveau Monde, Français, Anglais et Hollandais se sont progressivement installés dans les Caraïbes au XVIIe siècle. Ceci est bien sûr une violation du traité de Tordesillas. Du hollandais vrijbuiter (« faire librement du butin »), les flibustiers sont considérés comme des pirates par les Espagnols. Mais leurs actions profitent aux États européens dont ils sont issus. Ces États leur accordent donc certaines facilités et leur délivrent parfois des lettres de course.
Qui sont ces hommes?
Les flibustiers sont des aventuriers issus de ces nations, arrivés comme soldats ou comme engagés. Plutôt que de s’installer sur un lopin de terre à la fin de leur service, ils préfèrent se livrer à la capture de navires de commerce ainsi qu’à des descentes sur les grandes villes de l’empire espagnol afin de s’enrichir « plus facilement ». Les boucaniers sont, quant à eux, des hommes en rupture de ban, chassant le bœuf à Saint-Domingue. Ils rejoignent fréquemment les flibustiers. Ce sont souvent d’anciens soldats, habiles au fusil. À cela, s’ajoutent des aventuriers de toutes origines et des esclaves marrons (25% des flibustiers au XVIIe siècle).
De la flibuste à la piraterie
Les flibustiers ne sont pas vraiment des pirates car ils n’agissent pas contre leur prince, leurs compatriotes ou les intérêts économiques de leur pays, mais pas des corsaires non plus car ils n’ont pas nécessairement de lettres de courses de leur nation. Le monde pauvre des flibustiers veut faire fortune en attaquant celui qui représente le riche : d’abord les Espagnols, puis les planteurs anglais et français avec leurs vastes plantations et leurs esclaves.
A la fin du XVIIe siècle lorsque les positions coloniales françaises, anglaises et hollandaises se sont affirmées dans les Caraïbes, la flibuste devient envahissante. Les différents Etats cherchent donc à s’en débarrasser par deux méthodes. L’amnistie leur est proposée : ils sont intégrés dans la marine ou dans la population des colonies (méthode française). De grandes opérations de « police maritime » sont menées contre leurs repaires et leurs navires (méthode anglaise). Le traité d’Utrecht en 1713 inaugure une période de paix sur mer jusqu’en 1740 : les flibustiers sont alors considérés comme des forbans, des pirates, traqués et exécutés. C’est à cette période que se forge la légende de la grande piraterie associée au pavillon noir parfois orné de crânes et d’os, le Jolly Roger (NB : la plupart des pavillons célèbres sont des inventions récentes).
Comment s’organise la piraterie dans les Caraïbes?
La confederation of Deep-Sea Pirates, qui se développe au début du XVIIe siècle sur les côtes anglaises et irlandaises, est le modèle d’organisation des pirates jusqu’à nos jours. Ils disposent de bases discrètes sur les côtes irlandaises. Les équipages hivernent au Maroc, où ils trouvent des marchés disponibles pour armer les navires et écouler le butin. Les périodes de relâche sont favorables à l’endettement des hommes qui dépensent leur butin en femmes et en alcool. L’endettement chronique des hommes permet de les attacher durablement à cette vie difficile. Enfin, les pirates maintiennent des liens étroits avec le milieu commerçant et la population locale pour pouvoir écouler leurs prises et bénéficier de bases sûres.
Dans les Caraïbes, plusieurs bases accueillent les flibustiers et les pirates (triangles rouges).
L’île de la Tortue, ou Tortuga chez les Espagnols, est un des repaires les plus emblématiques de la flibuste. Cette petite île, réputée imprenable, au nord de Saint-Domingue est occupée par les Français dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Le gouverneur se montre favorable aux flibustiers étant donné que leur action sert les intérêts de la couronne. Équipée d’un fort, l’île offre un refuge aux flibustiers français pour se reposer dans les tavernes et bordels de l’île. Curaçao et Port-Royal accueillent respectivement les flibustiers anglais et hollandais. Ces grands centres de la flibuste disparaissent peu à peu à la fin du XVIIe siècle.
Les pirates des Caraïbes essaiment alors dans l’Océan Indien avec l’éphémère établissement de Madagascar et dans le Pacifique. En ce qui concerne les Caraïbes, c’est l’île de la Providence qui devient alors le centre de la piraterie : plusieurs milliers de pirates y ont séjourné dont le célèbre Barbe Noire. L’île est pacifié par le gouverneur de la Jamaïque en 1718.
Donc quand notre cher capitaine Sparrow débarque, ces repaires ne sont que les lointains souvenirs d’une époque révolue.
Et concrètement, comment ça se passe ?
De ce point de vue là, le cinéma rejoint l’histoire. Un capitaine dispose d’un navire qui lui appartient -en propre ou en copropriété- ou qu’un entrepreneur privé met à sa disposition. L’équipage est recruté dans un des grands ports pirates. Les modalités de la campagne sont fixées par un document nommé chasse-partie qui prévoit le partage du butin en fonction de l’investissement de chacun, leur récompense en fonction des faits d’armes et enfin les compensations en cas de blessures ou de mort.
C’est ce document qui inspire partiellement le fameux code évoqué par Gibbs. L’autre source de ce code est le règlement mis en place à bord de certains navires pirates et inspiré de ceux ayant cours dans les marines royales de la même époque.
Les flibustiers et pirates opèrent sur de petits navires rapides, parfois de simples barques à voiles. À l’apogée de la piraterie à La Providence, on ne compte que deux navires de plus de cinquante canons. La préférence pour les petits bâtiments s’explique d’abord par le fait que les pirates privilégient la vitesse pour pouvoir aborder facilement un navire. D’autre part, cela coûtait moins cher d’équiper un petit navire qu’un gros vaisseau comme le Black Pearl.
Les pirates se rendent sur les côtes fréquentées pour capturer les navires marchands ou de pêche. Parfois, ils organisent de grandes opérations à terre comme la prise de Maracaïbo par L’Olonnais et Michel le Basque en 1666 puis par Henry Morgan en 1669 ou le sac de Panama par Morgan en 1671, la plus grande opération flibustière avec 37 navires et 2000 hommes. L’essentiel du butin est composé de produits coloniaux et d’esclaves qui sont ensuite revendus sur les marchés de contrebande. Si tout se passe bien, nos pirates peuvent regagner leur port d’attache et dépenser leur butin aussi vite qu’ils l’ont gagné dans les tavernes et les bordels. Le rhum devient l’alcool phare chez les pirates au début du XVIIIe siècle.
Comment sortir de la vie de pirate?
Pirate un jour, pirate toujours (c’est aussi valable pour les flibustiers). L’endettement chronique ne leur permet pas de quitter ce milieu dans lequel ils sont entrés par choix ou sous la contrainte. Les anciens engagés et les boucaniers s’y engagent pour échapper à leur vie misérable. Les déserteurs et les mutins y trouvent un refuge. Mais certains n’ont pas eu le choix : enlevés ou capturés, ils sont enrôlés de force, souvent pour leurs compétences. Beaucoup finissent au bout d’une corde, au fond de la mer ou tués lors d’une rencontre malheureuse comme François L’Olonnais qui, selon Exquemelin, a fini rôti par des cannibales du Honduras. Ce sont ceux qui décident de rentrer dans les rangs qui peuvent savourer les fruits de leur vie de pillage. C’est le cas du célèbre Henry Morgan, redoutable flibustier anglais, qui est anobli à la fin de sa vie.
Loin de l’image de la flibuste facile qui s’élabore depuis les ouvrages du flibustier hollandais Alexandre-Olivier Exquemelin (Histoire des aventuriers flibustiers, 1678) et de l’écrivain anglais Daniel Defoe (A General History of the Pyrates,1724-1728), la très grande majorité des pirates n’ont pas fait fortune par manque d’économie ou par mort prématurée.
Et les trésors alors ?
Les fameux trésors relèvent, pour de nombreux historiens, de la légende. La Buse aurait lancé un cryptogramme griffonné sur une feuille avant son exécution affirmant que cela donnait l’emplacement de son trésor. Edward Teach aurait répondu la veille de son exécution que seul le Diable et lui connaîtraient jamais la cachette de son trésor. Réalité ou dernier défi?
Les sources n’ont pas gardé traces de capture de vaisseaux chargés d’or et d’argent. On note une exception : l’exploit du Hollandais Piet Heyn. Ce corsaire de la WIC s’empare en 1627 de la flotte d’argent espagnole en baie de Matanzas (Cuba) . La valeur de son butin est de 15 millions de florins, en lingots de métaux précieux et produits tropicaux.
Cela n’empêche pas des chercheurs et des passionnés d’écumer le fond des mers ou les îles à la recherche de ces légendaires trésors.
Des récits enjolivés et exagérés?
Si je vous dis Monbars l’Exterminateur, vous tremblez déjà à l’idée de ce que ce pirate a fait. Et pourtant, il n’a jamais existé ! C’est une pure invention d’Exquemelin. S’il a enjolivé son récit et inventé quelques personnages, il est une des principales sources directes sur la flibuste. Henry Morgan, alors anobli, intente un procès contre l’auteur pour l’avoir dépeint comme forban sans âme et sans cœur. Mais c’est surtout l’ouvrage de Daniel Defoe qui a édifié les grands mythes de la piraterie. C’est le cas de Libertalia, cette société égalitaire pirate à Madagascar gouvernée par le roi des pirates, le capitaine Misson. Cet Etat est une pure invention littéraire.
La violence et la cruauté des pirates sont parfaitement attestées dans les sources. Cependant, certaines sources secondaires sur la piraterie ont eu tendance à accentuer la cruauté des grands pirates. Defoe a ainsi forcé le trait par rapport aux sources dont il disposait. Prenons un exemple : l’Olonnais.
Ce flibustier français était réputé pour sa grande violence et sa profonde haine envers les Espagnols. Son nom a inspiré Eiichirō Oda pour Zoro dans One Piece. Engagé puis boucanier, il devient rapidement capitaine flibustier. Selon Exquemelin, il tuait tous les Espagnols qu’il croisait. Lors de la capture d’un navire espagnol envoyé à sa poursuite, après la reddition des Espagnols, il leur ordonna de monter un par un sur le pont et les décapita au-fur-et-à-mesure. Chez Defoe, l’Olonnais est capable d’arracher le cœur de sa victime et de la manger tout cru (invention de Defoe).
Quels sont les pirates qui ont inspiré la saga?
Le point culture du vidéaste Linksthesun dresse une liste des grands pirates et flibustiers. Ce sont les principales sources d’inspiration de la saga. Je vous laisse donc profiter de cette vidéo dont le contenu est assez sérieux.
Pour ce qui concerne le personnage de Jack Sparrow, deux pirates ont servi de modèle à sa création.
- John Ward alias Yüsuf Raïs alias capitaine Wardiyya (vers 1623). Ce pêcheur du Kent, passé à la Navy, devient pirate dans le sud de l’Angleterre. Il rejoint ensuite les Barbaresques en Méditerranée. Avec son équipage de renégats soutenus par l’aga des janissaires Osmân Bey, il écume la Méditerranée. Grand opportuniste, il vend ses services aux plus offrants tout en négociant avec leurs ennemis.
- Jack Rackam dit Calico Jack. Il est l’amant de deux femmes pirates -Mary Read et Anne Bonny- enceintes de lui au moment de sa capture. Généreux et maladroit, il cherche le pardon mais trahit toujours ses promesses.
Jack cherche toujours à négocier pour s’en sortir. Comme certains pirates, il vit persuadé qu’il trompera la mort jusqu’au bout. William Kidd croyait ainsi que la corde se romprait pour son exécution. Le gentleman pirate Stede Bonnet clame son innocence jusqu’au bout.
Pour conclure
Loin du rêve, de l’évasion et des fantasmes de la littérature et du cinéma, le quotidien d’un pirate se résume à l’ennui, la faim, la peur, la maladie, l’alcoolisme, le sexe, les naufrages, les captures (ils sont presque tous pendus).